Comprendre la science du mantra

Comprendre la science du mantra

par Jon Janaka

(in: Yoga International – Traduit de l’anglais par Vivre en Soi)

Le mantra a finalement atteint le courant dominant du yoga. Tous ceux qui pratiquent le yoga de nos jours semblent avoir au moins un vêtement sur lequel est écrit “om”. Les prières ou les chants créent un sentiment d’espace sacré au début des cours d’asanas. Le kirtan et les CD contenant des mantras dans différentes langues asiatiques font partie intégrante de la scène du yoga. Mais la science qui sous-tend la méditation des mantras reste largement méconnue.

Cela n’a rien d’étonnant. La science du mantra (mantra shastra) est complexe, et essayer de l’apprendre en dehors de son contexte culturel et philosophique d’origine ne facilite pas les choses. Cependant, si nous parvenons à obtenir une perspective de l’intérieur de cette tradition, nous pouvons voir comment les concepts clés de la méditation du mantra sont liés à un cadre plus large de la conscience et du langage. Et cette perspective plus large nous conduit à la ferme conviction (shraddha) dont nous avons besoin si nous voulons que notre méditation atteigne ses plus profondes profondeurs.

L’astuce consiste à trouver le chemin de cette science vaste et déconcertante. Une approche peut être trouvée dans le Sharada Tilaka Tantra, composé vers l’an 1000 de notre ère dans un esprit de compassion pour les étudiants sincères qui ne pouvaient pas travailler à travers les innombrables textes sur les mantras et maîtriser leurs significations soigneusement cachées. Le Sharada Tilaka est l’une des ressources les plus utiles de la tradition du yoga pour comprendre le mantra. Il nous donne un aperçu général des principes qui sous-tendent le mantra shastra et présente également en détail des pratiques méditatives yogiques spécifiques. Cela en fait un ouvrage de référence parfait pour les étudiants modernes, et après avoir examiné ce que le Sharada Tilaka nous apprend sur la vision du monde du mantra shastra, nous pouvons voir comment la compréhension de certains termes techniques traditionnels enrichira notre propre pratique de la méditation du mantra.

Un océan de conscience

Toutes les pratiques méditatives impliquant le mantra reposent sur le principe radical selon lequel une conscience unitaire imprègne toute expérience dans le monde. Dans notre expérience ordinaire, il existe une énorme diversité d’individus conscients. Ma conscience semble être différente – et séparée – de la vôtre ; toutes deux semblent différentes de la conscience de toute autre personne.

Toutes les pratiques méditatives qui impliquent le mantra sont basées sur le principe radical qu’une seule conscience unitaire imprègne chaque expérience dans le monde.

Mais le mantra shastra s’intéresse principalement à la substance irréductible de la conscience qui existe sous la diversité de ses manifestations individuelles. Si la conscience universelle est un océan, alors chacun d’entre nous est une vague dans cet océan. La substance de la conscience se trouve dans chacune de nos expériences individuelles, tout comme la substance de l’eau se trouve dans chaque vague. D’un point de vue, nous sommes des individus séparés ; d’un autre, nous sommes parfaitement intégrés.

Selon le mantra shastra, les différences entre nos consciences individuelles sont le résultat de constructions conceptuelles habituelles qui localisent et limitent notre conscience à des objets de conscience spécifiques. Les trois éléments qui restreignent le plus la conscience sont une définition étroite du soi, un concept étroit du temps et les états émotionnels qui captent notre attention. La connaissance du monde qui est filtrée par ces constructions est appelée “ignorance” car elle repose sur des objets instables et temporaires. Mais un océan de conscience se trouve sous la surface de notre conscience quotidienne, un océan qui peut être exploré par les pratiques du yoga.

Cet océan de conscience est appelé par différents noms dans différentes traditions. Il porte également des noms différents selon l’aspect de l’expérience sur lequel on met l’accent. Le Sharada Tilaka lui donne le nom de kundalini, ou cet aspect de la conscience universelle qui réside dans chaque être sensible en tant que conscience. D’ordinaire, cette conscience est limitée au corps, à l’esprit et aux émotions que nous appelons notre “moi”, mais elle est également limitée par le concept du temps. Consciente uniquement du présent, la conscience limitée a un souvenir incertain du passé et aucune connaissance certaine des événements à venir.

Kundalini est également connue dans le mantra shastra sous le nom de Shabda Brahman, la conscience universelle (Brahman) qui s’incarne dans le langage (shabda). Tout comme la conscience universelle est cachée dans chaque personne sous la forme de la kundalini, elle est également cachée dans tout langage sous la forme de Shabda Brahman. Le langage se compose de deux éléments principaux : le son et le sens. Le son appartient au domaine de la réalité physique et, comme notre conscience humaine, il est limité par le temps et l’espace. Le sens, quant à lui, prend sa source dans la conscience, qui, dans sa forme la plus pure, n’est soumise à aucune restriction.

Selon cette conception, le véritable “sens” de tout mot est une expérience de la conscience universelle sans restriction, appelée dans ce contexte Shabda Brahman. Mais cette référence ultime est obscurcie par les significations que nous attachons à des sons spécifiques afin de nous communiquer des idées et des émotions. Cette fonction communicative normale du langage est importante, mais le langage a aussi un potentiel bien plus grand pour élargir notre conscience. Il existe certaines chaînes de sons qui ne sont pas encombrées par la fonction communicative du langage. Purifiées et “éveillées”, elles renvoient à des états de conscience extraordinaires. Ces chaînes de sons sont connues sous le nom de mantras.

Comprendre qu’une conscience universelle imprègne à la fois la conscience humaine et le langage nous donne une vue d’ensemble pour comprendre le mantra shastra, mais cela n’explique pas comment la méditation du mantra élargit notre conscience individuelle limitée. Pour répondre à cette question, nous devons examiner la relation entre notre conscience et les objets de cette conscience.

Notre conscience adopte les qualités de tout ce que nous retenons dans notre conscience. Par exemple, si nous nous attardons sur des émotions négatives, elle devient de plus en plus restreinte. Si nous portons notre attention sur une conscience sans restriction, notre conscience individuelle s’élargira. Malheureusement, il nous est pratiquement impossible de nous concentrer sur la conscience pure et illimitée.

Notre conscience prend les qualités de tout ce que nous tenons dans notre conscience.

Pour résoudre ce problème, nos ancêtres spirituels ont cherché des manifestations de la conscience universelle qui puissent être saisies par notre conscience limitée. Et comme le langage et la conscience s’interpénètrent, ils ont découvert que les mantras étaient les outils les plus efficaces pour étendre notre conscience au-delà de ses limites habituelles. Ces concepts restent abstraits en dehors d’une pratique personnelle de la méditation. Mais en gardant à l’esprit cette matrice de la conscience et du langage, nous pouvons commencer à explorer le mantra shastra de l’intérieur.

Les vagues de l’océan

Chaque mantra élargit la conscience du méditant d’une manière unique, et chacun a sa propre personnalité, ses traditions et ses caractéristiques. C’est pourquoi le mantra shastra comprend un vocabulaire technique détaillé permettant de parler des mantras individuels. Des textes comme le Sharada Tilaka en parlent en termes de trois concepts clés : rishi, chandas et devata. Chacun de ces concepts élargit notre compréhension du mantra shastra et place la pratique de la méditation mantrique dans un contexte plus large.

Rishi

Rishi signifie littéralement “celui qui voit”, et les rishis sont des personnages semi-mythiques qui ont joué un rôle déterminant dans le processus de révélation qui a donné naissance aux mantras que nous utilisons aujourd’hui. Ayant effectué d’intenses pratiques yogiques, ils étaient libres de toute impureté et leur conscience n’avait aucune limite.

Dans le langage du mantra shastra, on dit que les rishis avaient une “vision” interne de la conscience universelle qui se cachait dans leur propre cœur. Plus important encore, ils étaient des maîtres du langage qui donnaient une voix à cette vision. Le mantra est la forme sonore de la vision de la conscience universelle d’un rishi.

Se souvenir que chaque mantra a un voyant primordial souligne l’importance de la tradition. Il n’est pas toujours important de connaître le rishi d’un mantra particulier, mais il est important de se rappeler que nous pratiquons la méditation des mantras au sein d’une tradition continue d’enseignants et d’étudiants qui remonte au-delà de l’histoire enregistrée.

En d’autres termes, les mantras ont été “vus” par les rishis et donnés à leurs élèves comme un outil d’expansion de leur conscience. Les mantras que nous utilisons aujourd’hui ont été transmis comme un canal sûr à travers le vaste océan de la conscience. Ils ont été gardés et maintenus ouverts par la pratique continue de nos ancêtres spirituels, devenant ainsi plus chargés et plus efficaces. Sans leurs efforts, la chaîne de transmission du rishi original aurait été perdue.

Les mantras reçus par une lignée ininterrompue d’enseignants sont considérés comme “éveillés” et capables de conduire un méditant vers des états de conscience supérieurs. Ceux qui proviennent de livres ou d’enseignants qui ne font pas eux-mêmes partie de cette longue chaîne sont considérés comme dormants et ne sont d’aucune utilité pratique pour la méditation de mantras.

Chandas

Un mantra peut être compris comme une conscience expansive soigneusement enveloppée dans un petit paquet serré de langage. Chandas est le mot utilisé pour décrire la structure linguistique précise qui recouvre et protège la conscience transformatrice qui s’y cache. Pour utiliser correctement un mantra, nous devons savoir précisément comment ouvrir ce paquet. C’est pourquoi la prononciation n’est pas prise à la légère par les étudiants du mantra shastra. En fait, la tradition a développé une compréhension sophistiquée de la prononciation basée sur les caractéristiques physiques du conduit vocal humain ainsi que sur les effets subtils des différents sons sur notre conscience.

Pour utiliser correctement un mantra, nous devons savoir précisément comment ouvrir ce paquet. C’est pourquoi la prononciation n’est pas prise à la légère par les étudiants du mantra shastra.

Chandas désignait à l’origine les mètres poétiques dans lesquels les hymnes védiques étaient composés. Mais au fur et à mesure que le mantra shastra s’est développé, les chandas ont fini par désigner la structure métrique de tout mantra. Elle révèle et dissimule à la fois. Les vers suivants, tirés de la Chandogya Upandishad, illustrent cette double fonction :

Craignant la mort, les êtres lumineux sont entrés dans les trois Vedas. Ils se sont couverts des mètres (chandas).

C’est pourquoi nous appelons le mètre une couverture.

Mais la Mort a regardé de près et a vu les Êtres brillants se cacher là, dans les versets du Rig Veda, dans les chants du Sama Veda, dans les formules du Yajur Veda, comme un banc de poissons en eau peu profonde.

Cependant, Chandas ne révèle pas la conscience cachée dans un mantra en l’exposant directement. La connaissance expérimentale est le seul moyen de voir ce qui se cache à l’intérieur, et cela se produit par la répétition du mantra. Lorsque la structure linguistique du mantra est maintenue dans la conscience du méditant, elle se grave dans le réseau neuronal du cerveau et s’intègre de plus en plus à la conscience du méditant.

Ainsi, en gardant la métaphore de la conscience comme un océan, nous pouvons comprendre les chandas comme la forme particulière que prend la vague mantrique de la conscience lorsqu’elle s’élève hors de Shabda Brahman.

Devata

D’un point de vue linguistique, devata est la nature essentielle d’un deva. Le terme deva est souvent traduit par “dieu”, mais il est plus correct de le comprendre comme un être libre et brillant – ainsi qu’un être en présence duquel on devient brillant et libre. Devata et deva sont tous deux dérivés de la racine verbale div, qui évoque une lumière brillante et expansive ainsi qu’une certaine humeur enjouée.

Deva est souvent traduit par “dieu”, mais il est plus correct de le comprendre comme un être libre et brillant – ainsi qu’un être en présence duquel vous devenez brillant et libre.

En termes pratiques, devata est le but de la méditation des mantras. Lorsque la structure (chandas) du mantra est pleinement assimilée par la conscience du méditant, le devata du mantra est révélé et envahit la conscience. À ce moment, la conscience du méditant fusionne avec celle du mantra et, pendant la durée de cette union, la vague est consciente d’avoir été l’océan depuis le début.

Lorsqu’ils sont compris dans le schéma conceptuel plus large du mantra shastra, les termes techniques rishi, chandas et devata peuvent nous donner une carte routière pour notre voyage méditatif personnel. Ils peuvent nous dire d’où vient un mantra, comment il est structuré et comment sa pratique va affecter notre conscience. Mais la connaissance fonctionnelle de la science des mantras ne provient pas uniquement de la compréhension intellectuelle. Elle repose principalement sur la pratique persistante de la méditation des mantras.

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À propos de l’enseignant

Jon Janaka est un spécialiste du sanskrit qui a travaillé dans la cuisine de l’Himalayan Institute pendant plus de cinq ans.

Catégories: Chants Ressources

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